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Sur les jets modernes, la consommation de carburant est l’un des facteurs déterminants qui vont conditionner la viabilité économique de l’entreprise. La gestion du carburant sera donc un sujet d’attention permanent pour l’équipage.
Poursuivons notre étude du B737-800 et de ses composants en nous intéressant, cette fois-ci, au circuit carburant et à son utilisation au cours du vol.
Un peu de théorie
Rappel d’aérodynamique
Sans revoir toutes les notions d’aérodynamique, rappelons simplement que pour qu’un avion, quel qu’il soit, vole en palier stabilisé, c’est à dire à altitude et vitesse constantes, il faut que les différentes forces qui s’exercent sur lui s’équilibrent entre elles, et donc que les deux équations fondamentales du vol, sustentation et propulsion, soient vérifiées.
Pour que le vol se fasse à altitude constante, il faut que la portance soit égale au poids. Toutes les autres données étant fixées, c’est par le coefficient de portance Cz et donc l’incidence, que se fera le réglage final.
A côté de cela, pour que la vitesse reste constante, il faudra que la traction de l’hélice ou la poussée des réacteurs équilibre la traînée qui sera induite par l’incidence déterminée avec la portance requise… En ce qui concerne la consommation de carburant, c’est cette deuxième équation, dite de propulsion, qui va nous intéresser plus particulièrement.
Pour ce qui suit, nous ne parlerons plus que des jets de transport commercial.
La réalisation d’un avion nécessite la coopération d’un avionneur qui va concevoir un planeur et d’un motoriste qui va construire le ou les moteurs que l’on va accrocher au planeur. On retrouve ce même partage des tâches au niveau de la poussée : les réacteurs fournissent une poussée utile Tu, le planeur demande une poussée nécessaire Tn pour pouvoir voler.
Pour les jets, la poussée utile Tu est pratiquement constante lorsque la vitesse propre ou le mach varient, particulièrement depuis que les réacteurs sont pilotés au travers de systèmes électroniques de régulation comme l’EEC du B737-800.
La poussée nécessaire Tn est représentée par cette courbe caractéristique. L’extrémité à gauche c’est le décrochage qui intervient quand la vitesse est trop faible. La courbe passe par un minimum que l’on obtient pour une incidence où le rapport Cz/Cx est maximum : c’est la vitesse de finesse max.
Un autre point remarquable est la tangente à la courbe Tn issue de l’origine : c’est le meilleur rapport entre la poussée nécessaire et le mach. On appelle ce point le Maxi Range, il correspond à une incidence où le rapport √Cz/cx est maximum.
La consommation spécifique
Au niveau de la consommation de carburant, la donnée de base fournie par le motoriste est la consommation spécifique de son moteur. Celle-ci sera fonction du régime du moteur et présentera un minimum aux alentours du maxi croisière. Elle est exprimée en Kg/tonne de poussée (ou DaN)/heure.
La consommation horaire
Une fois les moteurs installés sur le planeur, formant ainsi un avion et déterminant donc une Tn, on pourra déterminer la consommation horaire de l’avion, égale à Ch = Csp x Tu. En vol stabilisé, Tu = Tn.
Elle est exprimée en kg, tonnes ou livres par heure (de l’ordre de 2,5 t/h pour le B737-800).
Pas très facile à utiliser car elle varie en fonction de pas mal de paramètres. Elle est mesurée et affichée sur le tableau de bord, pour chaque moteur : c’est le Fuel Flow.
Pour un jet, elle sera minimale à l’incidence de finesse max. Ce sera donc la vitesse idéale pour attendre ou retarder le vol, même si elle n’est pas très confortable.
C’est aussi la vitesse minimale en croisière.
La consommation distance et le rayon spécifique
Mais la consommation qui va nous intéresser le plus pour nos vols c’est, comme pour les voitures, de savoir combien on va consommer pour faire 100 km par exemple. Pour les avions, c’est la consommation distance exprimée en kg ou livre par mile nautique (Nm).
Elle est égale à : Cd = Ch / Vsol.
Elle est pratiquement indépendante de la température car, quand celle-ci augmente, la Ch augmente, mais la vitesse propre (TAS) et donc, par relation directe, la vitesse sol, augmente aussi à peu près dans les mêmes proportions.
Mais pour un avion, on parle plus couramment du rayon spécifique, qui représente alors le nombre de miles nautiques que l’on fait avec une tonne de carburant.
C’est l’inverse de la Cd : Rs = Vs / Ch (de l’ordre de 200 Nm/t pour le B737-800).
Le Rs sera maximum à l’incidence de Maxi Range, pour l’incidence où le rapport √Cz / Cx maximum.
Les régimes de vol
Le maxi range est, bien sûr, le régime de vol le plus économique. Mais il est un peu lent. Il a donc été imaginé un régime de vol appelé Long Range, que l’on obtient en dégradant le Rs du maxi range de 1%, ce qui est tout à fait acceptable économiquement, mais permet en retour d’augmenter considérablement la vitesse.
Plus récemment, on a inventé le régime dit de Prix de Revient Minimum PRM, qui intègre les frais hors carburant pour déterminer le meilleur régime pour l’économie globale du vol.
Le Cost Index
De nos jours, c’est le Cost Index des FMS qui permet de définir le régime de vol le mieux adapté aux conditions du jour. Les compagnies choisissent le régime de vol qui sera adopté par les équipages : la plupart opte pour un Cost Index proche du Long Range.
Pour donner un ordre d’idée, voici l’effet du Cost Index sur le temps de vol et la consommation du B747-400. C’est bien sûr pour les vols longs que l’effet est le plus substantiel…
Le circuit carburant du B737-800
Les unités utilisées
On l’a vu, toutes les consommations, CSP, CH ou CD, sont exprimée en masse de carburant et non pas en volume comme pour les voitures. En effet, pour donner une certaine poussée, le réacteur va consommer une certaine masse de carburant. La densité du fuel étant variable, notamment en fonction de sa température, le volume consommé sera donc différent lui aussi. C’est pourquoi tous les instruments concernant le carburant seront gradués en masse (tonnes, kilos ou livres) et notamment les jaugeurs.
Le problème c’est que aussi bien les jaugeurs que les débitmètres ne mesurent que des volumes… ! Il faudra donc que le système détermine la densité du carburant et fasse la conversion pour afficher des valeurs en masse.
Pour faire l’avitaillement, c’est une quantité en litres ou en gallons américains USG (1 USG =3.7854 l) qu’il faudra fournir au pétrolier. Pour cela, il nous indiquera la densité de son carburant, qui se situe, en moyenne, entre 0,75 et 0,82.
Par exemple, si on souhaite avoir 9 tonnes de carburant au départ de notre vol, et que les jaugeurs et les documents avion indiquent qu’il reste 2,7 t dans les réservoirs, si le pétrolier nous indique que son carburant a une densité de 0,79, on devra lui demander de nous embarquer 9000 – 2700 = 6300 kg / 0,79 = 7975 litres.
On va donc lui demander de faire couler 7900 l et on fera un bilan après car le mélange du carburant restant avec le carburant livré peut avoir une densité différente… ce qui nécessitera peut-être un petit ajustement.
Les réservoirs
Le B737-800 est doté de trois réservoirs, un dans chaque aile contenant 4876 litres chacun, et le plus grand dans le fuselage et à l’emplanture des ailes, qui peut contenir 16273 litres. Au total donc, les réservoirs du B737-800 peuvent contenir jusqu’à 26025 litres, ce qui représente aux alentours de 20 tonnes de carburant selon la valeur de la densité.
Petit détail spécifique : le réservoir central est doté d’un système NGS (Nitrogen Generator System) qui va enrichir en azote l’atmosphère régnant dans ce réservoir souvent vide pour limiter les risques d’explosion en diminuant la proportion d’oxygène…
Une station unique, située sur l’aile droite, permet de faire les pleins sous pression directement vers les trois réservoirs.
Cette station permet également de faire des transferts d’un réservoir à l’autre et de vidanger une partie du carburant, … uniquement au sol évidemment…
Il existe aussi un certain nombre de jauges manuelles (drip sticks), utilisées en cas de problème sur les jaugeurs (numéro 1 sur le dessin).
Pour faire l’avitaillement, il suffit d’afficher la masse désirée dans chaque réservoir au compteur du bas, celui du haut indiquant la masse réellement à bord.
Répartition du carburant
Comment va-t-on répartir le carburant entre les trois réservoirs ?
On voit, sur ce schéma, que les forces portantes ayant leur point d’application sur les ailes et le poids de l’avion s’appliquant majoritairement sur le fuselage, la zone où les contraintes seront maximales est l’emplanture de l’aile.
Le propre poids de l’aile, incluant le carburant qu’elle contient, vient soulager cette contrainte à l’emplanture : on aura donc tout intérêt à mettre le maximum de fuel dans les ailes et le minimum dans le réservoir central. En pratique, sauf cas exceptionnel, on ne met du carburant dans le réservoir central que lorsque ceux des ailes sont pleins.
De même, au cours du vol, il faudra d’abord vider le réservoir central avant de consommer le carburant contenu dans les ailes.
L’avitaillement
Pour le total carburant de 9 tonnes cité précédemment, avec une densité de 0,79, les réservoirs d’ailes pourront contenir un maximum de 4876 x 0,79 = 3850 kg chacun. Ce qui fait 7700 kg pour les deux ailes. Il restera donc 9000 – 7700 = 1300 kg à mettre dans le réservoir central.
Tout ceci est, bien sûr, théorique car en fait, le plein de chaque réservoir d’aile sera arrêté automatiquement lorsque le système « top off » détectera que le réservoir est physiquement plein, ce qui peut donner une masse légèrement différente de ce qui a été calculé… D’où la nécessité d’ajuster à la fin de l’opération.
Mais tout ceci doit rester cohérent avec la quantité, en litres, que l’on avait calculée initialement, ce qui permettra en même temps de vérifier la validité des informations données par les jaugeurs.
Utilisation du circuit carburant
Le fonctionnement
Voyons maintenant comment le carburant va être acheminé vers les moteurs, plus précisément jusqu’à la SPAR FUEL SHUTOFF VALVE qui est, comme on l’a vu dans l’article sur le réacteur, le point d’entrée du carburant dans celui-ci.
Chaque réservoir est équipé de deux pompes électriques AC (Alternative Current), toutes situées dans le réservoir central. Elles débitent le carburant sous pression dans la rampe d’alimentation, elle-même coupée en deux parties par la CROSS FEED VALVE qui est normalement fermée.
La partie gauche de la rampe d’alimentation reçoit le carburant de la pompe gauche du réservoir central et des deux pompes du réservoir 1. Elle alimente le moteur 1 et l’APU.
La partie droite reçoit le carburant de la pompe droite du réservoir central et des deux pompes du réservoir 2. Elle n’alimente que le moteur 2.
Les pompes du réservoir central étant plus puissantes que celles des réservoirs 1 et 2, c’est donc le réservoir central qui va se vider en premier, conformément à ce que nous avons vu précédemment.
Des vannes by-pass permettent au moteur d’aspirer le carburant en cas de panne des deux pompes des réservoirs 1 ou 2.
Une jet pump, sur la pompe avant gauche, va récupérer le fond du réservoir central et le transférer vers le réservoir 1. La jet pump est active dès que celui-ci est à moitié vide.
Une pompe électrique DC (Direct Current = courant continu) alimente l’APU si la partie gauche du circuit n’est pas en pression.
Problème de température
La température du carburant indiquée sur le panneau carburant est celle du réservoir numéro 1.
Mais pourquoi est-il nécessaire de connaître la température du carburant dans les réservoirs ? Tout simplement parce que le kérosène peut geler…
Voici un tableau qui résume les caractéristiques essentielles des trois types de kérosène les plus couramment utilisés, le JET A1, le plus courant, le JET A utilisé aux USA et le TS-1 que l’on trouve dans les pays de l’ancien bloc de l’Est.
Dans les réservoirs, le carburant va progressivement s’aligner sur la température totale, TAT Total Air Temperature, qui englobe l’échauffement cinétique dû à la vitesse de l’avion.
Cet échauffement est de l’ordre de 25°C pour un B737 volant à Mach 0.79. Il faudra donc se préoccuper de ce problème si la température extérieure se situe aux alentours de -47-25 = -72°C pour du JETA1 par exemple.
Peut-être allez-vous penser que l’on se place dans des cas extrêmes ? Oui, mais pas tant que ça ! Prenons l’exemple d’un jour d’hiver tout à fait ordinaire :
Voici la carte WINTEM du 15 février 2015 pour le FL390 qui indique les vents et températures prévus dans une grande partie de l’hémisphère Nord. On trouve, au nord de Mourmansk, une température de -74°C.
Certes c’est la valeur minimale de toute la carte, mais on trouve des valeurs déjà bien basses plus au sud, sur les pays baltes et la Scandinavie notamment.
Heureusement, le B737-800 fait le plus souvent des vols assez courts où le carburant n’a pas le temps d’atteindre des températures aussi basses… Mais si cela arrive, que doit-on faire ?
Le Quick Reference Handbook QRH est notre ami ! Il contient les procédures et Check-lists répondant à un très grand nombre de situations susceptibles de poser des problèmes. En voici la liste concernant le carburant.
On voit tout de suite qu’il n’y a rien à savoir par cœur puisqu’il n’y a pas de procédure d’urgence (pas de ligne pointillée séparant les procédures d’urgence des check-lits de secours).
Et on trouve, notamment, une check-list de secours intitulée « Fuel Temperature Low ».
Il n’y a pas d’alarme pour annoncer une telle situation : il s’agit, pour l’équipage, d’être vigilant… !
Il y a donc deux limites : la température du carburant ne doit pas être inférieure au point de congélation du kérosène embarqué plus 3°C, la limite basse étant, dans tous les cas, de -43°C.
Pour le JETA1 (-47 + 3 = -44°C) ou le TS1 (-50 + 3 = – 47°C), c’est donc la contrainte des -43°C qui sera la plus limitative. Pour le JETA (-40 + 3 = -37°C), on voit alors que l’on peut être concerné nettement plus rapidement…
Dans l’exemple proposé plus haut, si le vol est un peu long, on risque d’être confronté au problème pour tous les types de kérosène !
Les moyens d’action proposés par la check-list ne seront pas très faciles à mettre en œuvre, et pourront être très pénalisants pour la consommation : il ne faudra donc pas attendre d’avoir atteint les limites pour faire quelque chose !
Voyons maintenant un autre cas plus complexe et donc très intéressant :
Déséquilibre entre réservoirs
Une alarme IMBAL, sur les jaugeurs du DU supérieur, s’allume en jaune quand une différence de plus de 450 kg apparaît entre les deux réservoirs principaux.
Dans la liste des check-list secours du QRH, c’est celle intitulée IMBAL qui doit nous apporter la solution.
On le voit tout de suite en lisant le début de la check-list, le problème majeur est de savoir pourquoi ce déséquilibre est apparu, et surtout s’il est ou n’est pas la conséquence d’une fuite de carburant… !
Parlons d’abord du cas où on est sûr qu’il n’y a pas de fuite, parce que l’on sait qu’un des moteurs consomme un peu plus que l’autre ou qu’un problème de jaugeur est apparu, sur la mesure de la densité dans un réservoir par exemple ou bien encore parce qu’un des moteurs est arrêté.
Dans ce cas, il faut se reporter à une « procédure supplémentaire » pour rétablir l’équilibre entre les réservoirs principaux : très logique donc très simple.
En utilisant la CROSS FEED VALVE, et les différentes pompes de réservoir, il suffira de rétablir l’équilibre en faisant consommer les deux réacteurs sur le réservoir d’aile le plus plein des deux.
Mais revenons-en au point de départ : comment savoir s’il s’agit d’une fuite ou pas ?
Fuite carburant
Des pistes sont indiquées dans le premier item de la check-list « IMBAL » :
- le suivi de la consommation et du carburant restant par rapport au plan de vol opérationnel sera certainement le premier indice avant même d’atteindre l’alerte « IMBAL »
- un fuel flow nettement supérieur à l’autre est le signe évident d’un problème
- une différence entre les indications des deux réservoirs principaux doit trouver une explication…
Réfléchissons un petit peu en revoyant le schéma du circuit carburant du réacteur. Suivant l’endroit où se situe la fuite, l’effet sur les instruments ne sera pas le même. Tout va changer si la fuite se situe après ou avant le débitmètre.
Si les observations ci dessus accréditent la thèse d’une fuite carburant, c’est donc vers la check-list secours « Engine Fuel Leak » qu’il faudra s’orienter.
Le début de la check-list secours « Engine Fuel Leak » va permettre de confirmer la fuite : après avoir interrompu l’alimentation par le réservoir central et vérifié que le déséquilibre carburant continue, ou qu’une traînée blanche est visible, on pourra être sûr.
Si la fuite est confirmée, la solution la plus sûre, ne sachant pas exactement où se déverse le carburant, sera d’arrêter le moteur correspondant comme l’explique la suite de la check-list secours.
Il faudra, ensuite, atterrir sur l’aérodrome approprié le plus proche et y faire une approche avec un moteur inopérant en suivant la check-list secours appropriée…
Conclusion
Avec cet aperçu de la gestion du carburant et du fonctionnement du circuit du B737-800, vous êtes maintenant capable de comprendre comment on utilise le carburant sur cet avion. De même, sur votre simulateur préféré, vous pourrez essayer, lors de vos prochains vols, quelques unes des situations de panne prévues dans le QRH.
Bons vols.
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